Kwawu Mensan Gaba (BM) : « L’intégration régionale est la seule garantie pour l’énergie dans la CEDEAO »
- 18 décembre 2024 / Actualité / 45 / Hejer
Kwawu Mensan Gaba (BM) : « L’intégration régionale est la seule garantie pour l’énergie dans la CEDEAO »
En Afrique de l’Ouest, où près de 600 millions de personnes vivent encore sans électricité, l’urgence de solutions concrètes n’a jamais été aussi pressante. Lors du premier sommet de la coopération énergétique de la région, Kwawu Mensan Gaba, responsable du pôle de compétence sur l’Énergie à la Banque mondiale, s’est confié à l’Agence Ecofin sur les moyens de sortir la région de cette impasse énergétique.
Revenant sur les échecs des modèles traditionnels, il plaide pour une approche régionale ambitieuse, basée sur la mutualisation des ressources, des réformes structurelles et des investissements massifs. Énergies renouvelables, gaz naturel, solutions hors réseau, développement du marché régional : les pistes explorées sont nombreuses pour transformer le paysage énergétique ouest-africain. Alors que les financements internationaux se font plus rares, M. Gaba détaille la stratégie de la Banque mondiale pour accompagner cette transition et ouvrir une nouvelle ère d’accès à l’électricité.
Agence Ecofin : Vous avez mentionné dans votre discours inaugural l’initiative Mission 300, qui cherche à mobiliser des financements innovants pour l’accès universel à l’électricité. Comment cette initiative se distingue-t-elle concrètement des mécanismes de financement traditionnels déjà mis en place par la Banque mondiale et ses partenaires en Afrique de l’Ouest ?
Kwawu Mensan Gaba : L’initiative M300 a été officiellement lancée le 17 avril 2024 à Washington par les présidents du Groupe de la Banque mondiale et du Groupe de la Banque africaine de développement. Ce programme vise à connecter 300 millions de nouvelles personnes à l’électricité d’ici 2030.
Jusqu’ici, nos interventions se concentraient souvent sur des programmes nationaux ou régionaux, qui couvrent la chaîne de valeur du secteur de l’électricité : investissements dans la production, le transport et la distribution, accompagnés d’un appui aux réformes institutionnelles, légales et réglementaires pour renforcer la viabilité financière des sociétés d’électricité et en faire des acteurs efficaces pour l’expansion du service. Cependant, ces approches n’ont pas suffi à réduire efficacement le déficit d’accès, notamment en raison de la croissance démographique rapide et des contraintes économiques de nombreux pays.
Aujourd’hui, environ 600 millions de personnes en Afrique subsaharienne n’ont pas accès à l’électricité. Sans action immédiate, ce chiffre pourrait atteindre 685 millions d’ici 2030. L’initiative M300 cherche à dépasser ces limites en adoptant une approche coordonnée et ambitieuse pour mobiliser des ressources massives autour d’un objectif clair et mesurable. Les groupes de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement s’engagent à connecter ces 300 millions de personnes grâce à leurs interventions, tout en invitant d’autres bailleurs de fonds à se joindre à cet effort. Ces contributions additionnelles viendront en complément des objectifs fixés par les deux institutions, sans être incluses dans les 300 millions prévus.
Agence Ecofin : Comment cette initiative sera-t-elle déployée concrètement ? Les financements seront-ils principalement régionaux, nationaux ou issus du secteur privé ?
Kwawu Mensan Gaba : L’objectif principal est de garantir que chaque individu, où qu’il soit, ait accès à l’électricité, en tirant parti des données de géolocalisation. Pour cela, nous adoptons une approche duale.
D’une part, dans les zones où les infrastructures électriques existent déjà, nous renforcerons les capacités de production, de transport et de distribution pour connecter les populations au réseau. D’autre part, dans les régions isolées ou difficiles d’accès, nous privilégierons des solutions hors réseau. Cela inclut des mini-réseaux (ou mini grids) pour alimenter des communautés entières, ainsi que des systèmes solaires individuels pour les ménages dispersés. Ces solutions permettent d’adapter les interventions aux besoins spécifiques de chaque région, en s’appuyant sur les technologies les plus appropriées.
Le programme comprend des initiatives nationales lorsque les États choisissent de concentrer leurs efforts sur des projets qui répondent à leurs besoins locaux. Par ailleurs, certains projets nécessitent une approche régionale, en raison de leur nature collaborative. Par exemple, dans le cadre du marché régional de l’électricité, les pays n’ont pas toujours les moyens, individuellement, de développer des infrastructures lourdes, comme de grandes centrales. Cependant, en mutualisant leurs efforts, ils peuvent construire une centrale capable d’alimenter plusieurs États via un réseau interconnecté. Cette mutualisation des efforts offre des avantages économiques considérables pour les pays concernés.
Agence Ecofin : Vous avez aussi insisté sur l’importance des réformes structurelles pour attirer les investisseurs et améliorer l’efficacité du secteur énergétique. Quels sont les principaux obstacles à ces réformes dans la région, et comment la Banque mondiale accompagne-t-elle ces évolutions ?
Kwawu Mensan Gaba : Le premier obstacle réside dans le mode de production, encore très dépendant des centrales thermiques utilisant des combustibles comme le gazole ou le fioul. Ces combustibles, achetés sur le marché international, entraînent des coûts de production volatils et souvent élevés, ce qui fragilise les systèmes énergétiques de nombreux pays.
Un autre problème majeur concerne les infrastructures de distribution, souvent vieillissantes et peu entretenues, ce qui engendre des pertes importantes. Ces pertes augmentent les coûts de service, souvent bien au-delà des tarifs facturés aux consommateurs. Par exemple, produire de l’électricité à plus de 25 francs CFA et la vendre à 12 francs CFA crée un déficit financier, qui freine tout le système.
Agence Ecofin : Que préconisez-vous pour surmonter ces défis ?
Kwawu Mensan Gaba : Nous encourageons les États à diversifier leurs sources de production en se tournant vers les énergies renouvelables, plus compétitives à long terme. Les appels d’offres pour des projets solaires ou éoliens, par exemple, ont montré qu’ils permettent de réduire considérablement les coûts par rapport aux solutions traditionnelles.
Nous insistons également sur la modernisation des infrastructures de distribution, notamment en remplaçant les anciens compteurs par des compteurs intelligents ou prépayés, qui réduisent les fraudes et permettent un suivi précis de la consommation. Ces outils offrent également aux consommateurs un meilleur contrôle de leur usage d’électricité.
Enfin, nous recommandons une réforme des politiques tarifaires : protéger les populations vulnérables avec des tarifs sociaux tout en s’assurant que les gros consommateurs paient le coût réel du service. Cette optimisation renforce la viabilité financière des opérateurs tout en répondant aux besoins des populations.
Au lieu de développer des centrales de petite capacité dans chaque pays, les États pourraient mutualiser leurs besoins et lancer des appels d’offres pour des projets de grande envergure, comme une centrale de 1 000 MW à déployer par tranches. Cette approche attire davantage les investisseurs privés, qui voient en ces projets des opportunités commerciales à long terme. Cela permet également de bénéficier de prix compétitifs, similaires à ceux observés dans d’autres régions du monde.
Agence Ecofin : En observant des modèles comme celui de la Chine, où la production à grande échelle réduit les coûts, pensez-vous que l’approche actuelle en Afrique, qui repose souvent sur des centrales de petite capacité, soit efficace ? Quels seraient les avantages pour l’Afrique de mutualiser les besoins énergétiques entre plusieurs pays pour réaliser des économies d’échelle ?
Kwawu Mensan Gaba : La production à grande échelle est effectivement clé pour réduire les coûts. Toutefois, dans de nombreux pays africains, la demande énergétique reste fragmentée, ce qui limite la faisabilité de très grandes centrales. Cela dit, des projets régionaux bien coordonnés peuvent permettre la construction d’infrastructures de grande capacité desservant plusieurs pays.
Par exemple, au lieu de développer des centrales de petite capacité dans chaque pays, les États pourraient mutualiser leurs besoins et lancer des appels d’offres pour des projets de grande envergure, comme une centrale de 1 000 MW à déployer par tranches. Cette approche attire davantage les investisseurs privés, qui voient en ces projets des opportunités commerciales à long terme. Cela permet également de bénéficier de prix compétitifs, similaires à ceux observés dans d’autres régions du monde.
Agence Ecofin : Mais cette approche régionale se heurte parfois à des enjeux de souveraineté. Chaque pays souhaite souvent conserver un contrôle total sur ses installations…
Kwawu Mensan Gaba : C’est vrai, et c’est un obstacle majeur. De nombreux pays veulent préserver une souveraineté énergétique en développant leurs propres infrastructures, même si cela conduit à des inefficacités. Pourtant, il existe des exemples réussis de collaboration régionale. Prenons le complexe hydroélectrique de Manantali, développé conjointement par le Mali, le Sénégal et la Mauritanie. La centrale est située au Mali, mais elle exploite le fleuve Sénégal, qui traverse les trois pays. Grâce à un mécanisme de partage équitable, chaque pays bénéficie d’une part de la production.
C’est une illustration parfaite de ce qu’une approche régionale bien coordonnée peut accomplir. Cela permet non seulement de mutualiser les coûts, mais aussi de renforcer la coopération entre les États.
Agence Ecofin : Pourtant, des cas comme celui du Niger, qui accuse le Nigeria de l’avoir empêché de construire sa centrale hydroélectrique, montrent que cette collaboration n’est pas toujours évidente…
Kwawu Mensan Gaba : Vous avez raison. Dans le cas du Niger, il existait un accord stipulant que le développement d’une centrale en amont risquait de perturber la capacité de production d’une centrale existante en aval. En contrepartie, le Niger devait bénéficier d’un accès à l’électricité à des tarifs préférentiels. Ce système a fonctionné pendant des années, mais des tensions récentes ont remis en question cet équilibre.
Ce genre de situation souligne l’importance de mécanismes régionaux robustes pour protéger les échanges transfrontaliers d’électricité contre les interférences politiques. À la Banque mondiale, nous travaillons avec la CEDEAO et l’ERERA (Autorité de Régulation Régionale du secteur de l'Electricité) pour renforcer ces mécanismes. L’objectif est de garantir que les activités liées au marché régional de l’électricité restent stables et prévisibles, quelles que soient les turbulences politiques.
Le LERF a pour mission de pallier ce problème. En cas de retard de paiement, le fonds avancera les sommes dues aux fournisseurs pour assurer la continuité des transactions. Les acheteurs devront ensuite rembourser le fonds dans des délais précis, sous peine de sanctions ou de suspension de leur accès au marché régional.
Agence Ecofin : Lors de son discours inaugural, le commissaire de la CEDEAO a indiqué que l’institution régionale collabore avec la Banque mondiale pour lancer un fonds fiduciaire visant à résoudre les problèmes liés au règlement des transactions énergétiques dans la sous-région. Pouvez-vous nous en dire plus sur les objectifs et le fonctionnement de ce fonds ?
Kwawu Mensan Gaba : Le fonds fiduciaire, ou Liquidity Enhancement Revolving Fund (LERF), soutenu par la Banque mondiale et potentiellement d’autres bailleurs de fonds, vise à sécuriser les transactions énergétiques régionales. Son objectif principal est d’offrir une garantie juridique et financière aux opérateurs, investisseurs et gouvernements impliqués dans des projets transfrontaliers.
Dans la sous-région, certains pays exportateurs d’électricité, comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, honorent régulièrement leurs engagements, ce qui renforce la confiance des acheteurs dans la qualité de leur approvisionnement à moindre coût. D’autres, cependant, accumulent des impayés sur des périodes pouvant atteindre 6, 12, voire 15 mois. Cela fragilise non seulement la structure financière des vendeurs, mais aussi l’ensemble de l’écosystème énergétique régional.
Le LERF a pour mission de pallier ce problème. En cas de retard de paiement, le fonds avancera les sommes dues aux fournisseurs pour assurer la continuité des transactions. Les acheteurs devront ensuite rembourser le fonds dans des délais précis, sous peine de sanctions ou de suspension de leur accès au marché régional.
Ce mécanisme instaure une discipline collective et réduit les risques pour les parties prenantes, rendant les projets énergétiques transfrontaliers plus viables et attractifs pour les investisseurs.
Agence Ecofin : Comment ce fonds fonctionnera-t-il concrètement ?
Kwawu Mensan Gaba : Le LERF sera administré par une institution financière capable de gérer des transactions complexes et d’inspirer confiance aux acteurs du marché. Les participants – acheteurs et fournisseurs – contribueront au fonds pour bénéficier de ses garanties.
L’opérateur du marché, déjà identifié, mais dont les détails restent à finaliser, supervisera les transactions quotidiennes. Il établira un état des comptes pour déterminer qui doit payer ou recevoir, et ces paiements seront compensés via le fonds, qui jouera un rôle similaire à une chambre de compensation. Ce système garantit une fluidité dans les échanges et une transparence totale.
Agence Ecofin : Comment le LERF pourrait-il créer un cercle vertueux pour attirer davantage d’investissements privés ?
Kwawu Mensan Gaba : En sécurisant les transactions et en réduisant les risques liés aux retards de paiement, le LERF permet aux investisseurs de se concentrer sur le financement des infrastructures sans craindre des pertes financières dues à des défaillances des acheteurs. Cela ouvre également la porte à des projets transfrontaliers ambitieux, comme la vente d’électricité d’un fournisseur nigérian à un acheteur en Mauritanie, ce qui serait impossible sans des garanties solides.
En Afrique de l’Ouest, nos simulations montrent que les centrales à gaz sont indispensables pour maximiser le déploiement des énergies renouvelables.
Agence Ecofin : En Afrique, de nombreux pays considèrent le gaz naturel comme une énergie de transition essentielle pour combler l’écart énergétique et soutenir le développement industriel, contrairement aux positions dominantes en Occident, qui plaident pour une transition immédiate vers les énergies renouvelables. Comment la Banque mondiale intègre-t-elle cette vision africaine dans ses politiques et financements énergétiques, tout en répondant aux impératifs des agendas climatiques internationaux ?
Kwawu Mensan Gaba : L’approvisionnement en électricité repose sur une combinaison de sources énergétiques. Le bouquet énergétique doit répondre à la demande des pays à moindre coût tout en limitant l’impact environnemental. Dans les systèmes électriques avancés, il est possible d’augmenter substantiellement la part des énergies renouvelables, certaines régions atteignant même temporairement 100 % de production renouvelable.
Cependant, en Afrique, où les systèmes sont encore en développement, cette transition draconienne n’est pas réaliste. La Banque mondiale procède à une analyse rigoureuse avant de financer des projets liés au gaz naturel, en comprenant que ce dernier joue un rôle clé en Afrique comme source d’énergie abordable et fiable pour accompagner une transition vers des énergies plus propres.
Le gaz naturel, bien qu’il ne soit pas une énergie renouvelable, offre plusieurs avantages. Comparé au fioul ou au gazole, le gaz naturel réduit de moitié les émissions de gaz à effet de serre pour la production d’électricité. Les centrales à gaz peuvent absorber les énergies intermittentes, comme le solaire ou l’éolien, et intervenir rapidement en cas de baisse de production renouvelable.
En Afrique de l’Ouest, nos simulations montrent que les centrales à gaz sont indispensables pour maximiser le déploiement des énergies renouvelables. En soutenant des projets viables économiquement, respectueux de l’environnement et adaptés aux besoins locaux, nous aidons les pays à établir un mix énergétique équilibré et durable.
Agence Ecofin : Mais les investissements dans le gaz naturel nécessitent des infrastructures coûteuses, ce qui peut être difficilement soutenable pour certains pays. Comment y remédier ?
Kwawu Mensan Gaba : Effectivement, développer une chaîne de valeur complète pour le gaz – de l’exploration à la distribution – exige des investissements considérables. Lorsque chaque pays agit isolément, les économies d’échelle ne peuvent être réalisées, ce qui entraîne une hausse significative des coûts.
Cependant, avec une approche régionale, ces défis peuvent être surmontés. Prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire, qui utilise son gaz non seulement pour répondre à ses besoins domestiques, mais aussi pour exporter de l’électricité vers le Mali, le Liberia et la Sierra Leone. Cette mutualisation des ressources permet de réduire les coûts de production et d’optimiser les infrastructures existantes. C’est pourquoi la Banque mondiale encourage les pays à s’appuyer sur le marché régional de l’électricité pour maximiser leurs investissements.
En travaillant de concert, le Bénin et le Togo ont longtemps obtenu des tarifs avantageux auprès de fournisseurs tels que le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Nigeria. Lorsque les deux pays ont envisagé de se séparer, ils ont perdu cette capacité de négociation collective, ce qui a entraîné une hausse des coûts. Après des échanges approfondis, ils ont décidé, le 31 mai 2023, de relancer leur coopération au sein de la CEB.
Agence Ecofin : On a vu aussi que ce modèle de coopération est sujet à des perturbations. Prenons le cas de la Communauté électrique du Bénin (CEB), un modèle de coopération énergétique entre le Togo et le Bénin, qui a récemment vacillé. Que s’est-il passé ?
Kwawu Mensan Gaba : En octobre 2021, les deux pays avaient entamé des discussions pour arrêter les activités de la CEB, chacun souhaitant gérer individuellement le transport d’électricité. Pourtant, la CEB est un exemple historique de coopération énergétique en Afrique, créé dès les années 1960. En travaillant de concert, le Bénin et le Togo ont longtemps obtenu des tarifs avantageux auprès de fournisseurs tels que le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Nigeria.
Lorsque les deux pays ont envisagé de se séparer, ils ont perdu cette capacité de négociation collective, ce qui a entraîné une hausse des coûts. Après des échanges approfondis, ils ont décidé, le 31 mai 2023, de relancer leur coopération au sein de la CEB. Une étude est en cours pour redéfinir les termes de cette collaboration, avec un accent particulier sur la gestion commune des infrastructures comme le barrage de Nangbeto, qui reste une source clé de production pour les deux nations.
Les investissements dits de souveraineté, où chaque pays agit seul, augmentent les coûts et créent des inefficacités. L’intégration régionale reste la seule solution viable pour diminuer les coûts de production et garantir un accès équitable et durable à l’énergie.
Agence Ecofin : Ces divergences sont-elles uniquement liées à l’électricité ou d’autres facteurs sont-ils en jeu ?
Kwawu Mensan Gaba : D’autres facteurs ont contribué, notamment la gestion des fibres optiques présentes sur les lignes de transport d’électricité. Ces fibres, excédentaires, sont souvent utilisées pour améliorer la connectivité internet. Les deux pays n’ont pas réussi à s’accorder sur leur gestion, ce qui a amplifié les tensions.
Les investissements dits de souveraineté, où chaque pays agit seul, augmentent les coûts et créent des inefficacités. L’intégration régionale reste la seule solution viable pour diminuer les coûts de production et garantir un accès équitable et durable à l’énergie.
Le projet de gazoduc Nigeria-Maroc, par exemple, a été conçu pour éviter les erreurs passées. Une partie de la capacité, soit 50 %, est destinée au marché européen, qui offre des garanties financières solides, ce qui assure la rentabilité du projet dès sa phase de développement. Les 50 % restants serviront aux marchés ouest-africains.
Agence Ecofin : Même dans le cadre des modèles d’échanges d’énergie en Afrique subsaharienne, des difficultés persistent. Par exemple, concernant WAPCo, le Nigeria a souvent eu du mal à fournir le gaz nécessaire à ses voisins comme le Bénin, le Togo et le Ghana. La présence de gaz dans certains pays ne profite pas toujours aux autres. Actuellement, un projet prévoit de connecter le Nigeria au Maroc en traversant 16 pays. Pourquoi pensez-vous que des modèles qui n’ont pas fonctionné à petite échelle pourraient réussir à grande échelle ?
Kwawu Mensan Gaba : Le gazoduc WAPCo a rencontré de nombreux défis, révélant certains problèmes structurels. Ces projets nécessitent une fiabilité constante dans l’approvisionnement en gaz et des engagements solides des parties prenantes, ce qui n’a pas toujours été le cas. Par exemple, des coupures d’électricité, comme celles observées au début de l’année, résultent souvent de déséquilibres entre les attentes des pays consommateurs et les capacités de livraison.
Cependant, affirmer que ces projets sont voués à l’échec serait une erreur. Ce qui a manqué jusqu’à présent, c’est une structure de financement et de gestion mieux adaptée. Le projet de gazoduc Nigeria-Maroc, par exemple, a été conçu pour éviter les erreurs passées. Une partie de la capacité, soit 50 %, est destinée au marché européen, qui offre des garanties financières solides, ce qui assure la rentabilité du projet dès sa phase de développement. Les 50 % restants serviront aux marchés ouest-africains, notamment pour répondre à la demande en électricité et soutenir des secteurs comme l’agriculture et l’industrie chimique.
Les banques et investisseurs exigent des garanties avant de financer ces projets coûteux. En vendant une partie du gaz à des clients solvables, comme ceux d’Europe, les revenus nécessaires pour rembourser les prêts et maintenir les opérations sont sécurisés. Pour les marchés ouest-africains, il est crucial de renforcer la fiabilité des consommateurs, notamment des sociétés d’électricité.
Agence Ecofin : Les besoins de financement de la sous-région pour soutenir son plan directeur dans le secteur énergétique sont estimés à plus de 30 milliards de dollars d’ici 2030. Comment la Banque mondiale participe-t-elle à combler ce gap ?
Kwawu Mensan Gaba : La Banque mondiale est un acteur clé dans le financement des infrastructures énergétiques en Afrique de l’Ouest. Nous avons déjà soutenu, en partenariat avec d’autres bailleurs de fonds, de nombreux projets. Parmi eux, le projet CLSG, qui connecte la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée via une ligne haute tension de 225 kV sur 1 357 km. Citons également les projets régionaux de l’OMVS (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal), qui regroupe le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, et de l’OMVG (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie), impliquant la Guinée, la Gambie, le Sénégal et la Guinée-Bissau.
Nous travaillons aussi au financement d’une deuxième ligne pour connecter la Mauritanie au réseau de l’OMVS et soutenons plusieurs projets solaires, notamment au Burkina Faso, en Sierra Leone, au Liberia, au Togo et en Gambie. Ces initiatives comptent renforcer les capacités de production et garantir une meilleure interconnexion régionale, un élément clé pour réduire les coûts et améliorer l’accès à l’électricité.
Agence Ecofin : Moins de 10 % des habitants des zones rurales dans certains pays d’Afrique de l’Ouest ont accès à l’électricité. Le modèle off-grid est souvent présenté comme une solution, mais il reste parfois inaccessible aux populations les plus pauvres. Comment surmonter cette difficulté, sachant que les gouvernements disposent de marges budgétaires limitées ?
Kwawu Mensan Gaba : Les solutions off-grid, grâce aux avancées technologiques, offrent aujourd’hui un service comparable à celui des réseaux traditionnels. Cependant, les subventions exclusivement portées par les États se révèlent trop coûteuses dans un contexte de contraintes budgétaires.
Pour y remédier, nous mobilisons des ressources à travers des mécanismes innovants comme le Resilience and Sustainability Trust (RST) du FMI. Ces fonds, bien qu’assortis de conditionnalités strictes, garantissent une utilisation efficace des ressources et limitent les risques de dérive.
Il est également essentiel d’associer l’électrification à des activités génératrices de revenus. L’électricité doit servir non seulement au bien-être, mais aussi à des usages productifs, comme l’irrigation ou la transformation des produits agricoles. Cela permet aux communautés de générer des revenus pour être capables de payer leurs factures et de réduire leur dépendance aux subventions.
Agence Ecofin : Quels enseignements principaux tirez-vous des échanges de ce sommet ?
Kwawu Mensan Gaba : Plusieurs leçons se dégagent. D’abord, les États réalisent qu’ils ne peuvent réussir seuls. L’Afrique de l’Ouest dispose de ressources abondantes, mais reste l’une des régions les plus en retard en matière d’accès à l’électricité. Une meilleure intégration régionale est indispensable.
Ensuite, une transparence croissante dans les discussions permet de tirer des enseignements de projets réussis, comme le PEPT en Côte d’Ivoire. Ces expériences inspirent des mécanismes similaires dans d’autres pays, comme le fonds Tinga.
Enfin, une volonté collective émerge. Les États comprennent qu’il est impératif de consolider les progrès et de maintenir les structures régionales existantes. Ce changement de mentalité est essentiel pour bâtir un avenir énergétique durable.
Pour conclure, l’énergie est le moteur de l’économie. Si nous parvenons à la rendre accessible à un coût abordable, nous transformerons la région. Ce sommet reflète une réelle dynamique et un engagement concret. Je suis optimiste quant à notre capacité à relever ces défis.
Interview réalisée par Fiacre E. Kakpo
source: https://www.agenceecofin.com/