TUNISIE: Ridha Gouia — économiste et Directeur d’APBS à La Presse: «La Tunisie doit se tourner vers d’autres pays arabes pour accroître ses opportunités d’investissements»



TUNISIE: Ridha Gouia — économiste et Directeur d’APBS à La Presse: «La Tunisie doit se tourner vers d’autres pays arabes pour accroître ses opportunités d’investissements»

La Tunisie doit mettre fin à cette spirale de l’endettement extérieur : en recourant davantage à l’emprunt intérieur avec une stratégie de booster l’épargne aussi bien des ménages que des entreprises,  en assainissant la situation des entreprises publiques afin qu’elles changent de rôle de demandeur de subvention au soutien du budget de l’Etat, en soutenant la croissance économique, premier souteneur du budget de l’Etat avec l’accélération des réformes économiques.

Quel est le niveau de l’endettement extérieur actuel de la Tunisie ? Comment, selon vous, mettre en place des limites à l’accumulation de la dette extérieure ?

Pour répondre à votre question, nous devons préciser que, généralement, le niveau de la dette d’un pays est comparé avec le niveau de son PIB (c’est-à-dire avec le volume de la création de la richesse nationale). Autrement dit, la soutenabilité de la dette extérieure d’un pays est évaluée souvent en fonction de son PIB, en dépit des critiques de cet indicateur par quelques analystes financiers. Ce niveau peut fluctuer d’une année à l’autre, mais ce qui est grave, c’est quand ce niveau continue à croître durablement (ou bien sa trajectoire ascendante) inhibant les moyens d’accroître l’investissement dans le pays et freinant donc la création des richesses.

Malheureusement, la Tunisie s’est plongée ces dernières années dans un endettement global à deux vitesses: le premier à long terme qui représente près de 75% du stock total de la dette, le second à court terme qui représente, désormais environ 25% du total. Autrement dit, la Tunisie est tombée dans la spirale de l’endettement.

Selon des études anciennes, de 2011 à 2019, l’endettement total en Tunisie a été multiplié par près de 3,4 fois, ce qui correspond à une moyenne d’augmentation de près de 8,7 milliards de dinars par an. En 2021, l’encours de la dette publique a atteint près de 108 milliards de dinars (soit 85,5% du PIB), en augmentation de près de 16% par rapport à 2020 (93 milliards de dinars, soit 77,8% du PIB) et de près de 30%, en comparaison avec l’année 2019 (83,3 milliards de dinars, l’équivalent de 68% du PIB).

Selon les données publiées mercredi 12 avril 2023 par le ministère des Finances, la dette publique de la Tunisie frôlait les 140 milliards de dinars pour cette année 2023, soit 120% du PIB.

Comme nous le savons, cette dette publique est composée, d’une part, de dette extérieure (généralement environ 60% mais avec une tendance croissante en raison de la contraction de l’épargne nationale, à l’exception de cette année 2023 où on recourt davantage à l’emprunt intérieur) et, d’autre part, de la dette intérieure (environ 40%).

La dette extérieure est contractée, principalement, dans le cadre d’accords de coopération bilatérale (64%), et à un niveau moins important auprès du marché financier (22%) et via des accords de coopération bilatérale (16%).

Comme nous le remarquons, cette croissance de la dette extérieure, en plus de l’application de délais de remboursement à court terme en raison du recours croissant au marché financier international dont le taux d’intérêt est plus élevé que celui appliqué par le FMI et la Banque mondiale, va impacter négativement la croissance économique du pays, puisque le remboursement de la dette extérieure se fera au détriment des investissements en infrastructure et équipement, ce qui  condamnera toute croissance durable, tout en maintenant le pays au bord de l’insolvabilité permanente.

Il est vrai que l’effort actuel de réduire le recours financier à l’extérieur (deux tiers de la dette au début prévus par la loi de finances 2023, révisé à un tiers seulement par la suite, et la troisième tranche de l’emprunt national actuelle n’en est que la preuve) reste insuffisant compte tenu des besoins et moyens de la Tunisie d’aujourd’hui.

En effet, selon la loi de finances 2023, la Tunisie doit rembourser 9,1 milliards de dinars au titre du principal de la dette intérieure et 6,7 milliards de dinars au titre du principal de la dette extérieure.

A notre avis, et malgré que la Tunisie soit parvenue à rembourser près de 74% du service de sa dette extérieure cumulée, (selon la BCT le 10 septembre 2023), ce qui reflète l’amélioration des recettes touristiques, des recettes fiscales qui ont augmenté de 8,3 % et des transferts de la diaspora (10,7 MD), la Tunisie doit mettre fin à cette spirale de l’endettement extérieur:  en recourant davantage à l’emprunt intérieur avec une stratégie de booster l’épargne aussi bien des ménages que des entreprises,  en assainissant la situation des entreprises publiques afin qu’elles changent de rôle de demandeur de subvention au soutien du budget de l’Etat, en soutenant la croissance économique, premier souteneur du budget de l’Etat avec l’accélération des réformes économiques. Comme elle l’a bien fait récemment, la Tunisie doit se tourner vers d’autres pays arabes pour accroître ses opportunités d’investissements étrangers et contracter des emprunts à taux réduits et  en mettant en place des opportunités de PPP qui génèrent davantage de nouvelles ressources de financement pour l’Etat.

Les fondamentaux de l’économie nationale virent décidément au rouge, bien que le gouvernement tente, tant bien que mal, de rassurer l’opinion publique quant à la marge de manœuvre dont il dispose. Les finances du pays sont mises à rude épreuve. Quelles sont d’après vous les prévisions de l’étape à venir ?

Comme vous le mentionnez, il est vrai que les fondamentaux de l’économie tunisienne virent vers le rouge, en dépit d’une légère tendance vers la remontée de la pente récemment (pour ne citer qu’un seul indicateur, les avoirs nets en devises ont connu une amélioration atteignant le 15 septembre 2023, 26,4 MD, l’équivalent de 116 jours d’importation, contre 23,7 Md, l’équivalent de 111 jours d’importation seulement, au cours de la même date de l’année antérieure). En effet, quelques indicateurs reflètent cette situation qui limite la marge de manœuvre dont dispose la Tunisie: la croissance économique n’arrive pas à croître puisqu’elle était respectivement de moins de 8,7%, 3,3%, 2,5% et 1,5% durant 2020, 2021, 2022 et 2023. Elle restera aussi selon les prévisions de la BM timide même en 2024 (2,8 %) et tirée par le secteur manufacturier et les services.

L’économie reste très dépendante de la consommation des ménages (73% du PIB au détriment de l’épargne et des investissements tant publics que privés), peu diversifiée et exposée aux aléas cycliques du secteur agricole (9% du PIB actuellement, alors que sa contribution était en moyenne de 13% auparavant) ou touristiques (5% du PIB alors que sa contribution moyenne était autour de 9% antérieurement).

Le déficit commercial de la Tunisie ne cesse de se dégrader durant les dernières années suite, d’une part, à un fort dynamisme des importations, et d’autre part, au faible rythme d’augmentation des exportations.

Certes, tous ces éléments, ou indicateurs, nous poussent à croire que la Tunisie connaîtra des années difficiles prochainement si elle n’arrive pas à prendre conscience de cette situation. La mobilisation des ressources nationales et l’urgence dans la restructuration du système productif tunisien s’avèrent indispensables pour un avenir plus prospère et intégratif.

Selon vous, le recours à l’endettement extérieur est- il vraiment aujourd’hui une bonne décision à prendre pour régler la situation financière du pays ?

Il est vraiment facile de répondre à cette question si l’on regarde l’histoire de la Tunisie et même la situation des autres pays tant développés qu’en voie de développement. En effet, historiquement, la Tunisie a recouru systématiquement au financement extérieur, mais à des degrés différents et pour une utilisation changeante: création d’une infrastructure, soutien des entreprises publiques ou paiement des salaires, donc pour la consommation.

L’économie reste très dépendante de la consommation des ménages (73% du PIB au détriment de l’épargne et des investissements tant publics que privés), peu diversifiée et exposée aux aléas cycliques du secteur agricole (9% du PIB actuellement, alors que sa contribution était en moyenne de 13% auparavant) ou touristiques (5% du PIB alors que sa contribution moyenne était autour de 9% antérieurement).

Le déficit commercial de la Tunisie ne cesse de se dégrader durant les dernières années suite, d’une part, à un fort dynamisme des importations, et d’autre part, au faible rythme d’augmentation des exportations.

Certes, tous ces éléments, ou indicateurs, nous poussent à croire que la Tunisie connaîtra des années difficiles prochainement si elle n’arrive pas à prendre conscience de cette situation. La mobilisation des ressources nationales et l’urgence dans la restructuration du système productif tunisien s’avèrent indispensables pour un avenir plus prospère et intégratif.

Selon vous, le recours à l’endettement extérieur est- il vraiment aujourd’hui une bonne décision à prendre pour régler la situation financière du pays ?

Il est vraiment facile de répondre à cette question si l’on regarde l’histoire de la Tunisie et même la situation des autres pays tant développés qu’en voie de développement. En effet, historiquement, la Tunisie a recouru systématiquement au financement extérieur, mais à des degrés différents et pour une utilisation changeante: création d’une infrastructure, soutien des entreprises publiques ou paiement des salaires, donc pour la consommation.

Quant aux autres pays, pour la France par exemple, dans son dernier rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des Comptes indique qu’en 2022 la dette a atteint 111,8 points de PIB, supérieure de 575 M d’euros à son niveau de 2019 (29 juin 2023).

Selon la banque d’affaires Goldman Sachs, la dette publique chinoise s’élèverait, en tenant compte des dettes cachées, à 21 500 milliards d’euros, soit 126 % du PIB (6 juin 2023).

De même pour l’Algérie, la dette nationale a connu cette évolution par rapport au PIB national: en 2023: 55,61%; par contre en 2022: 54,7% , en comparant avec 2021 on trouve que le pourcentage est égal à 52,51%, quant à l’année 2020, on observe 49,16%.  La dette intérieure du Maroc devrait atteindre 760 MMDH en 2023, en hausse de 1,8% par rapport à 2022, alors que la dette extérieure devrait augmenter de 25% passant de 209 MMDH en 2022, à 262 MMDH en 2023, (29 mars 2023). Selon la BM, le Maroc est parmi les pays les plus endettés d’Afrique.

Il est à noter aussi que l’endettement aux Etats-Unis est structurel et devrait continuer de s’accroître dans les prochaines années, d’après les dernières projections du Fonds monétaire international (FMI). En l’espace de 20 ans, la dette américaine a augmenté de plus de 20 milliards de dollars, dépassant actuellement les 30,5 trillions de dollars.

Ainsi, on constate que tous les pays cherchent à recourir à l’endettement pour leurs équilibres financiers, mais le problème, c’est que pour la Tunisie, la part de son recours à l’extérieur destinée aux investissements infrastructuraux et au développement de l’appareil productif reste faible. Et pour cause, le total du service de la dette, qui est la somme des remboursements du capital et des intérêts réellement payés en devises étrangères, reste élevé aliénant ou inhibant les moyens financiers disponibles.


source: https://lapresse.tn

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